Ayant travaillé plusieurs années comme juriste internationale dans divers pays en développement d'Afrique, d'Europe de l'Est et des Caraïbes sur des projets tant de protection des droits humains que d'éducation, j'ai eu réguliérement à me poser la question de la méthodologie à utiliser pour alphabétiser (en masse) certaines populations.
L'alphabétisation des adultes comme des enfants est dans de nombreux pays (et pas seulement ceux en développement, détrompons nous !) une problématique prioritaire et l'adresser de manière réfléchie et cohérente un défi nécessaire au développement du pays en question. Les méthodes expérimentées sur le terrain sont en général vieillotes et particulièrement rébarbatives, sans parler des projets qui cessent sans avoir mis en place toutes les phases prévues à ces projets. Une constante revient toujours à travers mes expériences, la plupart des pays en développement ont pris avec plus ou moins de réussite, le train en marche des nouvelles technologies et dépassent parfois (en terme d'équipement par exemple) ce qu'on peut voir dans nos pays industrialisés. En Haïti par exemple, n'importe quel Haïtien a maintenant un cellulaire (même une marchande qui a du mal à nourrir ses 8 enfants a son cellulaire) et va dans un cyber-café pour communiquer avec sa famille expatriée à l'étranger.
Mais qu'en est il de l'utilisation des TIC au service de l'alphabétisation de certaines populations?
Avant de parler d'alphabétisation, il convient de noter qu'il existe certes une fracture numérique (disparité d'accès aux technologies informatiques) entre les pays et beaucoup d'organisations internationales (Banque mondiale, ONU, USAID...etc.) ont pour objectif de la réduire afin de doter les pays en développement d'un accès plus généralisé aux TIC. Pour cela la question de l'accès aux logiciels libres et open source est particulièrement d'actualité et devrait faire l'objet d'une généralisation plus poussée.
Pour nous situer, le réseau Afreak nous rappelle que la Décennie des Nations Unies pour l'Alphabétisation (2003-2012), initiée et coordonnée par l'UNESCO , s'inscrit dans le cadre des initiatives internationales en faveur de l'éducation et du développement. L' « Education Pour Tous » (EPT) définit l'objectif général de la décennie : l'amélioration de 50% des niveaux d'alphabétisation d'ici à 2015. Les Nations Unies confirment, par ce biais, l'extrême importance de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture par les enfants, les adolescents et les adultes, dans et hors de l'école.
Le Plan d'action international de la Décennie pour l'alphabétisation propose six domaines prioritaires d'action pour mettre en oeuvre l' « Alphabétisation Pour Tous » (APT). (...) Les technologies de l'information et de la communication (TIC) sont des priorités qui traversent divers domaines d'action et mettent notamment l'accent sur le développement de l'accès, la formation et le recours aux TIC comme modalité spécifique d'enseignement.
Cela étant dit qu'elle est la réalité de ces belles paroles sur le terrain ?
Des réseaux se sont créés dans la dernière décennie, comme par exemple le réseau francophone international d'échange favorisant la création et la diffusion d'outils et de contenus liés aux TIC en alphabétisation d'adultes, des projets ont fleuri (pour un exemple intéressant de projet voir le projet "je parle donc j'écris" ou la présentation de divers projets sur le site Internet de rue). Un projet a retenu mon attention, le Programme d’éducation non formelle à l’aide des TIC: Cinq centres d’apprentissage communautaires participent au projet « Programmes d’éducation non formelle à l’aide des TIC ». Ce programme est soutenu par l’Unesco. Il vise à permettre l’alphabétisation des populations à l’aide des TIC. Les centres proposent des ateliers d’alphabétisation où les participants apprennent à l’aide de CD-ROM à lire et à écrire dans leur langue. On utilise les TIC et le multimédia pour éveiller l’intérêt des apprenants et améliorer l’éducation non formelle. Les cours sont, en effet, radicalement différents des cours d’alphabétisation traditionnellement dispensés dans d’autres centres d’apprentissage en Inde. Au lieu d’utiliser les manuels d’alphabétisation classiques – dont le contenu correspond rarement aux besoins des apprenants – le cours repose sur la création de contenu local. Les participants ont ainsi pu concevoir un contenu pédagogique personnalisé à l’aide d’une caméra numérique et d’autres technologies de l’information et de la communication. L’approche personnalisée renforce l’efficacité du processus d’apprentissage et motive l’apprenant. Le programme s’adresse à des personnes de tous âges. Le programme ne se limite pas à l’alphabétisation. Il s’agit d’un ensemble intégré de projets dont le point commun est de promouvoir l’utilisation des TIC pour améliorer la portée et la qualité de l’apprentissage et de la formation dans tous les contextes éducatifs. Les cinq centres indiens travaillent actuellement avec l’UNESCO au développement de stratégies de développement durable dans les villages. Le plus gros des dépenses du programme est destiné à l’acquisition de caméras numériques et d’ordinateurs équipés de modem, téléphone, imprimante, logiciels et écran tactile.
Il ressort à la lecture de ce projet que les mêmes ingrédients que ceux que nous connaissons dans nos classes québécoises sont les élèments gagnants pour un apprentissage réussi: partir de l'intérêt de l'apprenant, d'un contexte signifiant, adapté à ses connaissances antérieures et son vécu.
Il ressort aussi des lectures sur les expériences d'intégration des TIC dans le domaine de l'alphabétisation que les TIC peuvent être très utiles à la production de matériels d’apprentissage adaptés au contexte local ; qu’il est à la fois facile et très stimulant pour les apprenants de se former au matériel ; et que les centres d’accès aux TIC sont d’autant plus viables que leur gestion est confiée aux communautés locales et qu’ils sont utilisés par d’autres agences communautaires (cf. rapport final du Projet Alphabétisation du COL (COLLIT).
En guise de conclusion, j'aimerais reprendre ici les recommandations du Conseil canadien sur l'apprentissage (dans la recherche fort intéressante: L’intégration des TIC en alphabétisation communautaire au Québec par Sharon Hackett), qui souligne que le virage informatique dans les organismes d'alphabétisation a été effectué à peu près partout, et que la motivation semble évidente puisque ne pas apprendre à utiliser un ordinateur équivaudrait à faire perdurer l’un des facteurs d’exclusion des adultes faiblement scolarisés. Les recommandations principales sont de prévoir de former réguliérement les formateurs, et de renforcer ou instituer une collaboration plus poussée avec d'autres réseaux d'alphabétisation.
... l'alphabétisation ne va pas sans les TIC ! C'est certain !
Pour un approndissement du sujet, consulter le site "Internet de rue" (ATD-Quart Monde) mettant en ligne de nombreux articles sur la problèmatique de la fracture numérique tant dans les pays en développement que dans les pays développés. Un exemple parmi tant d'autres d'intégration des TIC en alphabétisation au Québec: Ludolettre.